Le Dimanche 8 décembre 2024 - 18h30 - 26 avenue de New-York, Paris 16e
Lire la suiteLe 3 novembre 2014
Révélé au milieu des années 90 par un enregistrement du premier livre des Préludes de Debussy, François Chaplin s’est depuis imposé comme son plus précieux interprète contemporain. Ce que confirme l’intégrale de l’œuvre pour piano qu’il vient de réunir en coffret. On l’a écrit dans ces colonnes, Chaplin ne se confronte pas à Debussy comme à un exercice obligé. Aussi sensuel et nerveux que capable d’abandon mélancolique, il défend Debussy avec un son français, charnu, franc et clair, loin de cette idée hollywoodienne de l’impressionnisme qui tient lieu de standard aujourd’hui.
«Secrets».
Chaplin n’est pas qu’un grand interprète de Claude de France, c’est un passeur intime, dans la décantation heureuse des Epigraphes antiques, l’hommage solaire à Pan, le statisme d’un Tombeau sans nom comme immergé dans le royaume d’Allemonde. Les différents plans sonores de ses Images semblent surgir du jeu des contractions et dilatations de la ligne, les gradations de couleurs miroitent comme des secrets, libérés sur des échappées impeccablement tracées trahissant une noblesse de cœur d’un autre âge.
Ce même art, Chaplin le met au service de Chopin dans un disque qui vient de paraître, et en concert, dans un programme alternant une pièce de chaque compositeur. A-t-il raison d’éclairer Chopin à la lumière de Debussy ? Absolument, d’autant qu’avant son intégrale Debussy, il a livré des Nocturnes rappelant que Chopin envisageait déjà le piano comme «machine sonore».
Dans le triptyque méditerranéen pré-impressionniste (Ballades, Barcarolle et Berceuse) qu’il vient de publier, Chaplin détache parfois un mode ancien, un accord couleur, un parfum, mais jamais au détriment de l’élan, du lyrisme. C’est du piano chatoyant, tel celui de Nelson Freire, rigoureux et sensible. L’aîné Freire a longtemps déserté les studios, le cadet Chaplin publie chez de petits éditeurs, rêveur lui aussi.
Né à Paris, entre lignée de peintres (Charles Chaplin et ses sanguines, Elisabeth Chaplin exposée à Florence) et week-ends à Barbizon, il a vite lié la musique aux couleurs de la nature. Il a écouté sa mère jouer, s’est mis au piano, avant 8 ans. Dans la Méthode rose, il a «tout de suite été attiré» par l’exercice Chant arabe. A ce goût précoce pour la couleur et la modalité, il faut ajouter celui du Baudelaire des Correspondances pour avoir la recette du parfait debussyste. Chaplin est aussi un romantique, qui doit à Wentsislav Yankoff, professeur au Conservatoire de Paris, de jouer Schumann, dont il a gravé les Scènes d’enfants. C’est parce qu’il était «malheureux en amour» qu’il a osé Brahms pour son premier disque. Rien moins que les opus 118 et 119 et les deux Rhapsodies, à 25 ans ! Il a fallu qu’il «aille mieux» pour aborder Debussy, qu’adolescent il trouvait «trop angoissé».
«Volupté».
C’est donc par Chopin, qui disait qu’ «il faut pétrir le clavier», que Chaplin est arrivé à Debussy, qui voulait «oublier les marteaux». Comme Michelangeli, Chaplin sait garder son mystère à Debussy. Et comme Arrau, il libère la vocalité de Chopin. D’où le choix pour Debussy d’un Steinway ancien, moins propre, permettant de sculpter sa propre sonorité, et d’un Yamaha dernier cri pour rendre le «rayonnement», la «volupté» et la «joie» paradoxales du dernier Chopin malade. Pour Chaplin, la prochaine étape serait de surmonter sa peur de la «morbidité» de Schubert, qu’il travaille en secret. «On dit qu’il faut attendre pour jouer ses dernières Sonates, je crois que c’est vrai».
En attendant il va enregistrer les Nocturnes de Fauré et se mettre à la photo. Sans doute parce que son piano est tout sauf naïvement pictural.
(Eric Dahan)